Journal intime by Eugène Dabit

Journal intime by Eugène Dabit

Auteur:Eugène Dabit [Dabit, Eugène]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: Gallimard
Publié: 2023-12-17T00:00:00+00:00


22 octobre.

Un dimanche matin ; Paris est lent à s’éveiller. Un ciel gris, qui peut-être s’animera. Il a plu, le pavé est gras. Les arbres du canal, immobiles, avec leurs feuillages d’automne. Quelques autos, à ce carrefour. À peine une rumeur. Toutes les maisons silencieuses, comme mortes ; là-dedans, les uns au-dessus des autres, des hommes, des couples. Quelle vie commence derrière ces murs, va soulever ces rideaux gris ? Quels gestes emplissent ces chambres étroites, où se glisse la lumière sourde d’un matin d’automne ?

C’est un jour calme entre tous les jours, ce dimanche ; et neuf, léger, simple, heureux peut-être. Et je songe, comme souvent vers les minuit, que les hommes enfin sont immobiles, au milieu de ces cimetières de chaque immeuble.

Il pleut ; il est 7 h 30 ; est-ce le dimanche qui se dessine ? Et déjà durant ces dix minutes d’attente, c’est un autre carrefour.

« Moi, je fais de la petite laitue, de la mâche… et puis de la légume à pot-au-feu… Ah ! c’est bien assez. »

Boulevard Mortier(61).

Il y a six mois, un peu plus peut-être, que je suis venu ici. Du reste, les dates importent guère, aussi bien je pourrais croire que des années ont passé depuis ma dernière visite. C’est en 1931 ou 1932 que, à la porte de Ménilmontant, en face de la rue du Surmelin, on construisait un groupe d’immeubles ; et depuis, rien d’autre que des maisons. Il y a six mois n’existait pas cette caserne Mortier, dure et nette comme une usine, vraie usine de guerre avec ses hangars vitrés. (Qu’y a-t-il, dedans ? autos, tanks ?) En face, c’est la vieille caserne des Tourelles qui, elle, semble un jouet. Ah ! tout change. Ces habitations en série, ces bâtiments de verre et de métal, ne sont point faits pour le bonheur ; sans doute pour abriter et recevoir la vie ; mais quelle vie ? moi, je n’ose pas l’imaginer ! Çà et là, quelques terrains vagues, des fantômes d’arbres (des vrais, arbres fruitiers, pas de ces marronniers ni de ces platanes qu’on aligne comme des maisons). Moi, les larmes me viennent presque aux yeux. Ça n’a rien de sentimental. Seulement, pareil spectacle a quelque chose d’impitoyable. On frémit à la pensée de l’avenir meurtrier et inhumain que se préparent les hommes. Le boulevard est large, droit. Au bout, dans un horizon enfumé (il y a tout de même un horizon) c’est Vincennes ; là, sur les pavés luisants et violâtres comme ceux des grandes routes, bondissent, se poursuivent les autos, monstres bien faits pour animer ce paysage de pierre. Dans les autos comme dans les maisons, il y a des hommes : jeunes ou vieux (s’ils ne veulent pas crever, les vieux doivent se laisser emporter par le courant). On s’étonne qu’au-dessus d’un tel monde s’étende encore un « vrai » ciel ; et que s’y pose le soleil. (Allons ! il est vrai que les hommes n’en font pas cas.) Ils sont entre eux ;



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